Son nouveau film, « presque personne n’en a voulu en France ». Après neuf ans d’absence, le réalisateur français Jean-Pierre Jeunet étrille un monde du 7e art dominé par le « marketing » et dit « merci à Netflix », qui diffuse dès vendredi son dernier long-métrage.

« Trop bizarre, trop décalé. Donc trop risqué »

« J’ai frôlé la dépression, j’étais très déprimé à l’idée de ne pas pouvoir tourner », confie dans un entretien à l’AFP le réalisateur du film culte « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » (2001), un des plus gros succès commerciaux mondiaux pour un film français.  Celui dont la filmographie cumule près de 21 millions d’entrées au box-office tricolore raconte le parcours du combattant qu’a été la sortie de « BigBug », une comédie dystopique sur fond de guerre entre humains et robots, avec Elsa Zylberstein, Isabelle Nanty et Dominique Pinon (deux de ses acteurs fétiches). « Concrètement, personne n’en a voulu en France. J’ai entendu les mêmes mots, les mêmes phrases que pour +Delicatessen+ (1991, son premier long-métrage, ndlr) et pour +Amélie+: c’est trop bizarre, trop décalé. Donc trop risqué », affirme-t-il. Alors que le projet s’apprête à tomber à l’eau, le réalisateur de 68 ans reçoit un coup de fil du géant américain du streaming: « ils ont dit oui au projet en 24 heures. Merci Netflix! », dit-il.

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Netflix investit plus que jamais dans le 7e art

Avec Jean-Pierre Jeunet, Netflix s’offre un nouveau grand nom du cinéma mondial. D’Alfonso Cuaron en 2018 avec « Roma », au western de Jane Campion « The Power of the Dog » — en tête des nominations aux Oscars —  en passant par « The Lost Daughter » de Maggie Gyllenhaal, Netflix investit plus que jamais dans le 7e art.  Si les derniers films du réalisateur n’ont pas connu les succès des précédents– moins de 700.000 entrées pour « T.S. Spivet » (2013) contre près de 4,5 millions pour « Un long dimanche de fiançailles » (2004) ou près de 9 millions pour « Amélie Poulain » — le nom du réalisateur bénéficie d’une aura au sein du cinéma mondial. Pourtant, la plateforme continue d’être mal vue par nombre de réalisateurs pour qui la sortie en salles de leur films est un préalable indispensable avant d’atterrir sur les plateformes.

Le marketing a pris le pouvoir

Un faux débat pour Jean-Pierre Jeunet pour qui « les choses ne se remplacent pas, elles s’additionnent »: « les plateformes n’ont pas remplacé le cinéma, qui n’a pas remplacé le théâtre. Il y aura toujours des films en salles pour les grands films. Le monde change il faut s’adapter ». Et de dénoncer l’hypocrisie d’une industrie où « le marketing a pris le pouvoir et maintenant, les décisionnaires sont des gens qui sortent d’écoles de commerce  et qui vous expliquent comment faire un film ». Mais surtout pour le réalisateur, finie l’angoisse de la sortie en salles: « Dès qu’un film sort, on a les yeux rivés sur le nombre d’entrées. Quand on vous dit il y a 200 spectateurs, c’est une catastrophe. Là, il y a un demi-milliard de spectateurs potentiels puisqu’ils ont (environ 220) millions d’abonnés. Si 1% le regarde, ça fait beaucoup de monde », souligne-t-il. « Quand j’ai commencé à signer avec Netflix, on se moquait de moi. On me disait +tu devrais pas+ et aujourd’hui, tout le monde m’appelle pour me dire qu’ils ont envie d’y aller », dit-il.

Ses sujets fétiches

S’il assume avec « BigBug » une rupture sur la forme, la fond reste du Jeunet tout craché: « Ceux qui aiment mon travail vont adorer; ceux qui ne l’aime pas vont adorer détester », ironise-t-il. Surnaturel, enfance, imaginaire: Jean-Pierre Jeunet revient à ses sujets fétiches avec une obsession, « faire des films qui sont plaisants et ludiques ».  Et d’enfoncer le clou: « il y a deux sortes de réalisateurs: ceux qui se renouvellent constamment, mais qui n’ont pas de style. Et il y a ceux qui font toujours le même film, en quelque sorte: Tim Burton, Woody Allen … Je m’inscris plutôt dans cette tradition. Au risque de lasser plus vite, c’est vrai ».

Bigbug disponible dès le 11 février sur Netflix

(Belga / Belga)

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