Il y a quelques jours, le Festival de Cannes a annoncé sa sélection et, surprise ou non, sans aucun film Netflix. Le différend entre Netflix et le monde français du cinéma date depuis un moment déjà et, afin de bien comprendre les enjeux, petit rappel des faits.
Tout commence lors du festival de Cannes 2017 lorsque Thierry Frémaux, directeur général du festival, annonce les sélections d’OKJA et THE MEYEROWITZ STORIES en compétition. Ces deux films, signés Bong Joon-ho (qui remportera plus tard la Palme d’Or avec PARASITE) et Noah Baumbach, sont produits par Netflix. Cela crée déjà des remous car Netflix ne sort pas ses films au cinéma en France à cause de la chronologie des médias, procédé régissant les fenêtres de distribution (sortie en salles d’abord, puis en VOD, puis en DVD, puis en télévision payante, puis en télévision gratuite et enfin sur les plateformes de SVOD comme Netflix). Bref, si un film Netflix sort au cinéma en France, il ne peut être disponible sur la plateforme que 3 ans plus tard et ça, pas question pour Netflix.
Nouvelle règle
Dès l’année suivante, le Festival de Cannes se fait quelque peu recadrer par les différentes associations d’exploitants et distributeurs et instaure une nouvelle règle pour les films en compétition : l’obligation de tout faire afin de sortir son film en salles en France. En gros, c’est une règle anti-plateformes tout simplement. En effet, chaque année depuis l’instauration de cette règle, il y a au moins un film en compétition qui ne sort pas dans les salles françaises (coucou Jean-Luc Godard) et personne n’y trouve rien à redire. L’hypocrisie du milieu.
Vous allez me dire, et le hors-compétition ? Car oui, la règle établie ne l’est que pour les films en compétition, pas les films présentés hors-compétition. Jusqu’à présent, Netflix a toujours refusé de le faire, sauf en 2020 (année lors de laquelle le festival n’a pas eu lieu). Spike Lee était le président du jury et son nouveau film, DA 5 BLOODS aurait dû être projeté au festival avant sa sortie sur Netflix. Une exception pour faire plaisir à Spike Lee et Thierry Frémaux sans aucun doute.
Qui sont donc les grands gagnants et perdants de cette petite guéguerre entre Netflix et Cannes ?
Est-ce que Cannes est un des perdants ? Oui et non. Cela leur fait moins de beaux tapis rouges avec des stars mais le festival peut survivre à ça. Netflix n’est guère perdant non plus car leurs films n’ont pas besoin de Cannes dans l’absolu. Cela leur fait perdre un peu de visibilité et un peu de bonne presse à la rigueur mais ce n’est pas très important.
On trouve quand même un grand gagnant dans cette histoire, c’est la Mostra de Venise. Le festival vénitien a lieu en septembre, lancement de la saison des films prétendants aux cérémonies de récompenses (de janvier à fin février, des Golden Globes aux Oscars). L’Italie (comme la plupart des pays du monde), n’a pas la même chronologie des médias qu’en France. Il n’y a donc aucun problème à passer un film de plateforme dans un grand festival comme Venise pour qu’ensuite le film atterrisse directement sur une plateforme sans passer par la case cinéma.
Quels sont les films qu’on aurait pu (aurait voulu) voir à Cannes ?
Cette année, THE POWER OF THE DOG de Jane Campion et BLONDE d’Andrew Dominik étaient les candidats potentiels à une place dans la sélection officielle, hors-compétition donc. Un nouveau film de Jane Campion est toujours un événement tandis qu’un biopic sur Marylin Monroe avec Ana de Armas dans le rôle-titre promettait une belle montée des marches. Du coup, leur présence à Venise et/ou Toronto ne fait plus l’ombre d’un doute.
Les années précédentes, ce sont plusieurs grosses machines qui sont passées au nez de Cannes. Parmi ceux-ci, notons ROMA d’Alfonso Cuaron, lauréat du Lion d’Or, récompense suprême de la Mostra de Venise puis de nombreux Oscars, THE LAUNDROMAT de Steven Soderbergh, THE KING de David Michod, 22 JULY de Paul Greengrass, THE BALLAD OF BUSTER SCRUGGS des frères Coen ou encore MARRIAGE STORY de Noah Baumbach. Bref, que des beaux noms du cinéma qui font rêver plus d’un programmateur de festival.
Et les autres plateformes ?
On ne parle que de Netflix mais il y a d’autres plateformes qui sont concernées. Cette année, AppleTV+ a le prochain film de Joel Coen et Prime Vidéo a souvent eu de gros titres dans son catalogue (qui étaient généralement distribués en salles localement). Au vu de la règle cannoise, il ne serait donc pas improbable de voir THE TRAGEDY OF MACBETH (le film de Joel Coen donc) débarquer sur le Lido vénitien.
Dans l’immédiat, Netflix reste le principal acteur de la SVOD mais Apple arrive. C’est d’ailleurs eux qui produisent le prochain film de Martin Scorsese, KILLERS OF THE FLOWER MOON qu’on pourrait donc voir faire sa première à Venise, Toronto ou New York en 2022.
Quid du futur ?
Thierry Frémaux semble optimiste quant au fait que Netflix reviendra un jour à Cannes. La question de la chronologie des médias française est très complexe et l’élaboration d’une nouvelle est en cours mais cela prend du temps. Autant dire que ce n’est pas demain la veille que cela se produire. En attendant, c’est du pain béni pour Venise.